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Lettres du Vietnam

  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 26 avril 1966
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 13 juillet 1966
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 4 septembre 1966
  • La lettre de Catherine à son père – Saigon, 5 novembre 1966
  • La lettre de Catherine à son père – Saigon, 1 décembre 1966
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 21 décembre 1966
  • La lettre de Catherine à sa père – Saigon, 23 février 1967
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 26 février 1967
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 27 mars 1967
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 30 mars 1967
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 7 mai 1967
  • La lettre de Catherine à son père – Saigon, 13 mai 1967
  •  La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 25 août 1967
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 27 janvier 1968
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 6 mars 1968
  • La lettre de Catherine à sa mère – Hong Kong, 11 mars 1968
  • La lettre de Catherine à sa mère – Saigon, 12 novembre 1968
  • La lettre de Catherine à sa mère – Hong Kong, 5 décembre 1968

Saigon, le 26 avril 1966

 

Ma Chère Maman,

 

3 lettres à mon retour m’attendaient. Toi, Catherine et Martinie*, pour me dire que magazine suisse prend 2 pages couleurs Ann Margret. Je suis moins complexée maintenant quant à mes qualités techniques. Je vais me décider à travailler avec agences américaines sur place, tout en continuant à envoyer à Martinie certaines choses. Il est honnête, semble me témoigner de l’amitié, et de l’argent sur mon compte de Paris n’est pas une mauvaise idée en soi… Je prendrai dans quelque temps la décision de rester ou rentrer. Je pense pencher pour un séjour + long. Si seulement Catherine venait, rien ne va de son côté, ici la vie est + facile. Ne pas t’inquiéter s’il te plaît des nouvelles données par notre bonne télévision française. Comme toujours beaucoup de conneries. C’est d’autant + vérifiable que je suis sur place. Si tu m’envoies un colis, envoie moi par exemple mon pantalon rose et le petit chemisier bleu marine que tu m’avais donné (en soie je crois). On se change beaucoup ici parce qu’il fait très chaud. (nous sommes en pleine saison chaude). M’as-tu mis de l’argent sur mon compte ? de toute façon Martinie me paiera prochainement. Tu n’as donc pas à t’inquiéter. N’oublie pas de joindre un récépissé de banque + chèque en blanc. Je pense à ramener plein de jolies choses je cherche… Spécialement dans les villages (il n’y a rien d’authentique à Saigon) pour les chats. Tes photos sont exactement ce qui se vend dans la rue. Des bébés chats sauvages tigrés comme des ocelots. Pour la race ? “Bourgeoise“ va !! ce sont simplement des rejetons de chats sauvages (nous sommes en orient tu sembles oublier que le tigre se chassait encore il y a quelques années et qu’en brousse, singes, pythons (jamais vu) ne s’occupent pas des histoires connes politiques, leur guerre à eux c’est bouffer dormir. C’est entre nous bien suffisant. Le silence…

Je pense souvent à vous, écrirai à Papa. Remercie-le de sa lettre.

Tout marche pour le mieux, ne vous inquiétez pas. J’écris à Delbusaye. Donne-moi l’adresse de M. Beauté.

Ecris moi.

Envoie-moi une boîte de Tampax, on ne sait jamais. N’oublie pas de mettre argent sur mon compte.

 

Baisers, Cathy

Lettre papier Hôtel Caravelle, Saigon

 

Saïgon, le 13 juillet 1966

 

Chère Maman,

 

J’ai reçu tes 2 cartes d’Italie non sans sourire. Te voila revenue à Enghien bronzée, en forme préparant d’autres vacances. Où partez-vous au mois d’août ?

Je suis sans arrêt partie ces temps-ci. A Da Nang d’abord chez les marines. Le service de presse y est le mieux de tout le Vietnam. En face de la rivière, cinéma en plein air… et puis les marines qui sont vraiment des types sensationnels.

Je suis partie en patrouille de nuit avec eux. 4 jours avec un colonel marine en opération. 47 ans, tête de boxeur. Expressions colorées oh combien… 3 guerres derrière lui + hautes décorations. Nous avons fait une candy fair operation ensemble. Ce rapport sera inclus dans le papier de Jean Durieux* dans Match probablement au mois d’août. J’ai été pigée. Je devrais recevoir sur mon compte 50.000 frs dans quelque temps. Le travail est difficile en ce moment, mais je ne me décourage pas. J’ai des problèmes de visa. Je vois demain le directeur de cabinet ministère de l’intérieur. Sur le conseil du Commandant De. J’ai reçu lettre disant que visa du 1er mai à fin août n’était pas accepté. Je tremble un peu. Ce ne serait pas le moment de me faire foutre à la porte. J’ai l’intention de rester jusqu’en septembre. Repartir en bateau serait évidemment une bonne idée. Je ne sais pas encore.

Ecris-moi. Je vous embrasse

 

Cathy

Saigon, le 4 septembre 1966

 

Chère Maman,

 

J’ai reçu tout à l’heure cette carte rigolotte. J’ai passé mes 22 ans au service de presse de Da Nang entourée de beaucoup de marines. J’étais partie quelques jours avant de Saigon avec reporter AP en opération près zone démilitarisée. Il a à cette occasion débouché un champagne de “France“ à notre retour. Je ne suis rentrée qu’hier samedi, fatiguée une lettre de Cath, carte de Marguerite, ton courrier m’attendaient. Je suis en train de me tailler une réputation de “fer“ avec les marines, j’en suis très fière. Je pars demain mardi dans le Delta. Sujet : un village à quelques jours des élections. La guerre semble se calmer comme toujours à la veille d’un événement politique. Le Delta est la région clé. J’y resterai 2 ou 3 jours. Après je ne sais pas. Je vais préparer à ton attention quelques photos de moi prises un peu partout et je te les enverrai. Je pense à ta perruque. Je vais m’en occuper aussi. Ne m’en veux pas. Je suis tout le temps partie. Rentre 2 jours à Saigon fais laver mes affaires. Range. Lave. Tout est sale, je ne me paye pas de boyesse, elles volent à tour de bras, dors un peu et repars.

Que te dire de ma vie mondaine ? Si ce n’est qu’assez loin de mes préoccupations. J’aimerais bien partir me reposer fin septembre sur île près de Hong Kong. Pas de grand hôtel. Un village de pêcheurs chinois. Partir à la pêche avec eux. Me dorer, ne rien faire une semaine de vacances. J’y pense. Je vais sans doute me faire ouvrir un compte sur banque américaine et pourrai ainsi y déposer mes dollars. Je n’ai pas à me plaindre de ce côté. J’ai gagné au mois d’août 565 doll. = 287000 francs. Je dois pouvoir faire le double à la fin de l’année. C’est dur tu t’en doutes mais j’aime ce que je fais et ne vois pas de raison de m’arrêter. Je ne vois pas très bien ce que l’on m’offrirait ailleurs en comparaison de la vie que j’ai ici. Au fait ! s’il m’arrive quelque chose vous seriez prévenus dans les 24h qui suivent. Alors pas trop d’inquiètudes si je vous laisse parfois sans nouvelles.

J’espère que papa est ok.

Je vous embrasse

Cathy

Saigon, le 5 novembre 1966

 

Cher Papa,

 

Ta lettre datée du 29 octobre m’est parvenue ce matin. Avec de la chance, et dans le sens France Vietnam, le courrier arrive assez rapidement.

Ce journaliste américain qui voyage du nord au sud serait bien le seul à le faire actuellement. Pour qui travaille-t-il ?

Sans être enfants de coeur, les “boss“ américains sont en définitive moins truands que les Français. C’est bref, précis, on veut du bon travail, et on te paye. Les photographes, eux, c’est autre chose. 1 type a essayé de me faire sauter ma carte de presse américaine parce que depuis 3 semaines j’avais de meilleures photos que lui. Il est payé au mois, je suis payée à la photo vendue (“Free Lance“), il en a fait une maladie. Je te raconterai en détails, tout s’est bien heureusement arrangé cet après-midi, mais je suis restée bloquée une semaine à Saigon ne sachant si j’aurais le renouvellement de ma carte de presse. J’ai été pendant une semaine dans un état d’âme tel que je voulais me jeter dans le “Mékong“… Quant aux relations avec les gens, tout est très superficiel, toujours partie, je n’ai pas le temps de connaître d’autres gens que ceux de la presse. Partagée entre quelques Français à longueurs de soirées la guerre d’Indochine. « Quand j’étais au Tonkin », le mot clé, les visages s’éclairent… moi je m’en fous. Tu comprends, ce qui m’intéresse c’est aujourd’hui, bref… ces gens m’irritent, par leurs critiques parfois injustifiées. D’autre part les Ricains, bien gentils mais business sans arrêt, un peu cons quand il faut passer une soirée ou évidemment tu finis par reparler de la guerre d’Indochine, de De Gaulle (celui-là avec ses 76 ans), et on finit inévitablement par s’engueuler à propos d’un Charles dont je ne suis certaine que d’une chose, il met à cause de ses rancunes 15000 Français dans une situation pas marrante. Et moi parfois à la même occasion. Moralité, moi qui ai voté Tixier Vignancour*, je me vois parfois devant des réflexions américaines connes (parlons de ces charmantes flèches empoisonnées) je me vois donc parce que je suis à 18000 kms de Paris, forcée de réagir parfois en sa faveur, c’est un comble. J’en tremble de rage.

Alors parce que tout cela me fatigue, je reste chez moi 2 nuits que je passe généralement à Saigon entre 2 opérations. Voilà —

Ecris-moi.

Je vous embrasse ts 2 affectueusement

Cathy

Saigon, le 1 décembre 1966

 

Cher Papa,

 

Je vais terminer ma semaine à Saigon. J’ai été très fatiguée tous ces temps derniers.

J’avais d’autre part besoin d’un renouvellement d’accréditations (cartes de presse) AP et UPI m’ont fait deux lettres. Le service de presse américain me donnera ma carte dans 2 ou 3 jours. Le fait d’être française me vaut toute sorte d’ennuis (tu fais le 19 septembre une demande de visa de 6 mois, tu reçois l’accord de 3 mois le 30 novembre, c’est-à-dire jusqu’au 19 décembre…). Ca dure depuis 9 mois… j’ai vu hier le boss vietnamien du Ministère de la Sécurité, ça va s’arranger mais ça me tue, il faut courir de tous les côtés, attendre, expliquer sa bonne foi, je crois cette fois tenir le bon bout, je dois revenir avec d’autres papiers demain. Voilà les derniers potins.

Je crois que ces prochains 6 mois seront très importants pour moi, j’ai montré mes photos au boss de Time qui m’a conseillé si j’avais du bon matériel de l’envoyer à Life.

Je repartirai la semaine prochaine je pense, en opération avec la 1ère cavalerie dite “First Cav“ dans les hauts plateaux pour une semaine environ. Après je retournerai sans doute avec les marines.

Je vous embrasse bien affectueusement

Cathy

 

Quand arrive ce mystérieux monsieur X et pourquoi ne pas dire son nom ?

Saigon, le 21 décembre 1966

 

Ma chère maman,

 

Je viens de rater Joe Masraff* et j’en suis vraiment désolée. J’ai passé 5 jours avec les paras américains (Airborne) dans une compagnie à quelques kilomètres de la frontière cambodgienne non loin de Kontum la jungle la plus épaisse du Vietnam, des montagnes, des montagnes… des montagnes … Il m’a été impossible de revenir plus tôt et Masraff est dans l’avion à l’heure où je t’écris.

Je suis vraiment très contente et tu devineras facilement pourquoi… Je suis en voie d’être faite membre d’honneur de la 101ème airborne. Je suis la seule de toute la presse ici qui sautera lors du 1er saut de combat effectué par les troupes américaines au Vietnam le 13 janvier. Le feu vert m’a été donné par le Colonel Collins (fils du général Collins) chef de l’armée américaine pendant plusieurs années. Je suis folle de joie. Je dois d’abord sauter début janvier en exercice avec Alpha compagnie etc…

Deuxième bonne nouvelle, lettre de Black Star* qui, je traduis, trouve que je suis une très bonne photographe. Ils veulent que je leur envoie des photos…Ils sont malheureusement 2 photographes staff ici, et ne peuvent me donner d’idées d’histoires, je dois les trouver moi-même. Je veux d’autre part acheter un 3ème appareil prochainement et j’ai vraiment besoin d’argent. Peux-tu m’envoyer un chèque avec récépissé de banque Urgent… Je te promets de t’envoyer début janvier un paquet ou de le confier à quelqu’un que je connais qui va rentrer en France à ce moment…

Tout le monde est de bonne humeur au bureau. Je suis sale, mes treillis sont dans mon sac, je porte un ensemble pantalon chemisier virant sur le caquis (sic) pour être propre au Mess Off abandonnant mes bottes de jungle taille 39…

Je retourne au Continental poster ta lettre et je rentre me changer.

 

Je vous embrasse tous deux très affectueusement en cette fin d’année. Je viens de recevoir une lettre charmante de madame Delbushayes et Madame Samuel Grang mère de Catherine dont je suis sans nouvelles depuis plus d’un mois… la mère de Cathy a également joint une petite carte. Je leur avais envoyé mes voeux début décembre.

J’ai écris à Michel, Cathy Danvers, Marguerite au même moment, je n’ai toujours rien reçu.

Ecris…Je t’embrasse ainsi que papa

 

CLeroy

Saigon, le 23 février 1967

 

Mon cher Papa,

 

J’ai sauté hier 22 février avec la 173ème Airborne. J’étais la 1ère femme à sauter au Vietnam lors de ce premier saut opérationnel des paras américains, depuis le début de la guerre…

Je devais en fait sauter seule du corps de presse (plus de 400). Au dernier moment, 2 autres types sautèrent aussi.

Mon grand copain, le General Deane* était personnellement intervenu auprès de Westmoreland*. Bref, c’est une grande réussite.

700 hommes ont été largués en moins de 10 minutes, à 5 kms de la frontière cambodgienne. J’étais dans le 4ème avion (C130, 60 hommes) la 7ème à sauter lors du premier passage.

Associated Press m’a acheté l’histoire, plus photos noir et blanc. Life j’espère prendra plusieurs couleurs, quand à Match il leur a été envoyé un portfolio en couleur de Cathy avec un parachute sur le dos avant d’embarquer…

Je suis très fière d’avoir sauté avec les Américains ici, c’est en tout point une grande réussite professionnelle.

Je sais maintenant qu’il me sera possible un jour de travailler aux Etats-Unis sans trop de difficulté. Il me faut simplement continuer sur cette lancée…Je soumettrai à la fin de l’année mes meilleures photos au jury de Pulitzer, et autre grand prix, par l’intermédiaire d’AP j’ai peut-être une chance de faire un prix…

[barré : Michele Ray sera vite oubliée], j’ai toujours pensé que je devais arriver parce que je ne me suis jamais rendue. Je vais être faite membre d’honneur de cette brigade après la fin de cette opération.

Il doit y avoir une grande cérémonie de remise de certificat de saut de combat, je devrai ensuite me soumettre aux règles en vigueur du bizutage, pour être membre d’honneur…J’ai assez peur compte tenu qu’il ne me sera fait aucune fleur…

 

Je t’envoie ci joint une radiophoto.

 

Je t’embrasse très fort ainsi que maman.

 

CLeroy

Saigon, le 26 février 1967

 

Chère Maman,

 

Je t’ai écrit de Saigon hier, mais cette lettre te parviendra plus tôt étant postée de Paris par journaliste. Tout va bien. Grand succès professionnel. Reçu lettre donnée à 5 colonnes* [note de la DCL : “Cinq colonnes à la une“, magazine télévisé de reportages]. Je viens de rentrer de Hué. 5 jours avec les marines. Grande bagarre. Bonnes photos. Je reste à Saigon une semaine. Travaille sur bande magnétique pour Look. Histoire formidable.

 

Soyez rassurés. Tout va bien.

 

Gros baisers, Cathy

Saigon, le 27 mars 1967

 

Ma chère Maman,

 

Je suis rentrée à Saigon samedi après 5 jours en opération du côté de la frontière cambodgienne avec de bonnes photos.

J’ai trouvé aujourd’hui tes 2 lettres, celle de papa, plus visa de sortie pour Singapour.

J’avais un important rendez-vous hier soir avec un américain faisant un livre de photos en couleur que le Vietnam (il connaît Mac Namara)* et c’est sur les conseils de celui-ci qu’il est au Vietnam  le bouquin serait plus ou moins édité par le Département d’Etat américain. Bref, plusieurs photographes arrivent des Etats-Unis dans un mois pour commencer à travailler.

J’avais avec moi, une enveloppe de toutes mes meilleures photos, une quarantaine. Nous dînons ensemble plus colonel ami à lui bras droit de Westmoreland*, passons soirée agréable (il est satisfait de mon travail,veut me faire faire quelques rouleaux couleur, si c’est bon, j’aurai un contrat pour travailler pour lui à ce livre), je rentre chez moi en taxi, le chauffeur veut me voler mon sac, essaye de sortir de la voiture, poignées intérieures limées, impossible de sortir que par l’avant, il était à ce moment en train de gesticuler, je lui flanque une gifle, 2 Vietnamiens passaient, ils discutent tous les 3, je pars, rentre, dors, ce matin, réalise que l’enveloppe et les photos sont restées dans le taxi… je suis complètement effondrée…Hors Faas* me dit pouvoir en récupérer quelques-unes à New York dans les archives (il y en a à peu près 1 million par an sur le Vietnam…) alors je pense que je n’ai vraiment pas de chance. Je pensais qu’un jour je pourrai me servir de ces photos pour un livre. Je ne peux même pas montrer mon travail maintenant, tout est irrémédiablement perdu ou presque. Je suis dans un état catastrophique. J’ai pleuré toute la matinée.

Je vais aller voir le directeur des transports, lui donner 100 dollars pour s’en occuper, bref je m’apprête à payer, je vais faire un chèque de 500 frs à un français, sois sûre que l’argent est sur mon compte. Je partirai à Singapour à la fin de la semaine prochaine, je dois d’abord m’occuper de mon déménagement, récupérer mon argent un peu partout, faire des démarches pour un renouvellement de visa, partir en opération avec les marines.

Je pars avec 800 dollars, 4000 frs… donc je t’enverrai plusieurs jolies choses. Suite à tes deux lettres je suis passée à la CBS ce matin. L’expéditeur vietnamien m’a dit avoir envoyé il y a une semaine la valise à Paris. Téléphone-leur, elle devrait être arrivée.

 

Ecris-moi rapidement, je vous embrasse tous deux affectueusement.

Saigon, le 30 mars 1967

 

Ma chère Maman,

 

Je viens d’obtenir un assignment* à partir de Samedi et pour 6 jours du London Mirror, grâce à Horst Faas*.

J’ai contacté leur reporter, anglaise marrante (un peu dingue), je commence donc à travailler pour elle samedi à 500 Frs par jour… beaucoup plus que je ne croyais.

Je me sens beaucoup plus reposée, je suis à Saigon depuis 3 jours, et m’occupe de moi.

Mon départ est fixé au 10 avril, je t’enverrai c’est promis, plusieurs choses pour toi, et les enfants de Michel.

J’ai fait la connaissance d’un Colonel sympathique il est à Saigon l’un des conseillers de Westmoreland*, nous avons dîné hier ensemble, et il m’a donné un petit bouquin humoristique concernant l’amour et le chat célibataire c’est vraiment très drôle et je regrette qu’il n’existe pas en français.

Je n’ai rien de bien particulier à te raconter.

 

Je t’embrasse

Saigon, le 7 mai 1967

 

Ma chère Maman,

 

Je t’envoie ci-joint 2 photos de moi. Je repars dans 2 ou 3 jours de nouveau avec les Marines. J’ai eu la couverture de tous les journaux américains, et mes photos sont toutes parues avec ma signature.

J’ai l’intention de partir à N York au mois de juillet, et de contacter des agences importantes qui pourront me donner un assignment* par mois (une semaine à 100 dollars par jour) pour le reste, je continuerai à travailler pour AP ce qui me permettra sans doute d’obtenir à la fin de l’année un prix.

Je suis connue maintenant, et j’ai toutes les chances d’obtenir ce que je veux. Je vais donc mettre de côté ce que je gagne espérant ainsi pouvoir me financer. Ca va évidemment me coûter au moins 750.000 frs, mais je pense pouvoir y arriver. Je suis contente, tout marche pour le mieux maintenant, les choses semblent tellement simplifiées…

Je suis pleine de projets, et en forme, mon séjour en Malaisie m’a énormément reposée, je suis beaucoup plus calme et décontractée.

J’ai reçu des télégrammes de plusieurs types de Paris, me félicitant.

Rien de Catherine, comme je suis déçue, tu pourrais l’appeler un soir pour lui dire. Je me suis acheté à Singapour un tourne-disques stéréo japonais marchant sur piles, formidable et une perruque. (moi aussi) le problème c’est qu’elle n’est pas de la couleur de mes cheveux, elle est de la même couleur que la tienne en plus claire. Mes cheveux sont entièrement décolorés par le soleil, avec de grandes mèches platines.

Tu as sans doute reçu maintenant mon colis de Singapour. J’espère que les petites tuniques pour les enfants de Michel leur ont fait plaisir.

Je ne vois rien d’autre à te raconter. Je joins un négatif de moi que tu pourras faire développer. C’est aujourd’hui dimanche et le labo marche un peu au ralenti.

 

Je vous embrasse tous les deux affectueusement,

 

CLeroy

Sur papier à entête d’Associated Press

 

Saigon, le 13 mai 1967

 

Mon cher Papa,

 

Merci de m’avoir envoyé Match Je viens de le recevoir. Ce numéro ne serait paru à Saigon qu’avec plusieurs jours de retard, je te remercie donc.

La pluie des mangues vient de commencer. Interlude de ce qui sera la mousson dans quelques semaines de Saigon à Pleiku.

La ville se lave quelque peu, on ne marche plus qu’à pas pressés dans les rues. L’air est moins lourd, on respire mieux.

10 pages dans Match, 6 pages (Faas* m’assure 5000 dollars) dans Life magazine 2 millions 5… Article dans Time magazine, 1ère page de tous les journaux américains. Photos présentées dans le plus grand magazine d’actualité de la première chaîne de télévision américaine NBC. Première photographe à avoir ses photos signées en première page du N York Times (depuis Horst Faas, 1965).

Bref, je reçois des télégrammes de gens dont j’ignore complètement l’existence depuis plusieurs années, alors qu’en même temps je suis détestée plus que jamais par ennemis connus et inconnus, civils américains aussi bien que militaires à Saigon. Ne mettons pas les choses au pire… J’ai quelques bons copains, ceux de la première heure. Un colonel marine qui me considère un peu comme sa fille et qui m’a rendu service dans les coups durs, plus quelques autres, ceux-là sont mes amis. Le général Deane*, 173ème (para américain qui a aboli toutes les barrières il y a quelques mois pour me faire sauter avec eux) m’a envoyé un télégramme charmant du fin fond d’un cp [command post] opérationnel pour me féliciter…

Il y a dans cette armée américaine quelques idiots, mais la plupart de ceux que j’ai connu ici sont vraiment fantastiques.

J’ai les plus grandes chances d’obtenir ce grand prix américain qui est le Robert Capa (plus grand photographe de guerre, français, qui a été tué en Indochine) à la fin de l’année à N York.

Je vais peut-être venir à Paris en juillet, je vous tiens au courant… Si je résous mes problèmes de visa.

Maman m’apprend que tu es parti un matin avec ma cravate et mon épingle chinoise qui veut dire, à propos, bonne chance. Elle ne saurait mentir…

Tout ça n’étant que la première partie d’une année à finir. 67, devant être pour nous tous celle de la réussite.

 

Je t’embrasse bien affectueusement ainsi que Maman,

 

Cathy

 

J’espère que ta connasse de soeur aura vu MATCH

Saigon, le 25 août 1967

 

Ma chère Maman,

 

Je rentre de Da Nang, après plusieurs jours passés avec la 101ème Airborne (paras) qui sont en opération près de Chu Lai. La jungle, la jungle, la jungle… un terrain impraticable, où les Viets se promènent à 10 mètres de toi, bref… on s’amuse comme des fous… !!!!

 

Je viens de recevoir un télégramme de Bob Allison*, en reportage au Caire, tout va bien pour lui.

 

Life m’a enfin payée, j’ai plus de 2000 dollars sur ma banque à N York (10.000 Frs) en fait, tu sais je ne me sens pas bien riche, et je compte revenir l’année prochaine à Paris avec au moins 2 millions devant moi. Pour l’instant et en attendant je travaille comme une forcenée. J’attends la réponse de ma lettre à Match, et tout au moins leur envoyé spécial qui devrait arriver à tout moment. Le magazine anglais Sunday Telegraph me donne un assignment* photo pour une histoire intéressante. Leur reporter ici, vient de se faire construire une jonque indonésienne à Singapour qu’il a transformée en restaurant et club. Je suis invitée pour le lancement à Noël de ce qui doit être une foire à tout casser.

Une centaine de correspondants, journalistes, photographes, seront invités et ce n’est après tout pas une mauvaise idée de passer les fêtes de fin d’année…Le Vietnam à cette époque est pour moi d’une grande tristesse. Pour tous les gens qui sont seuls je pense…

 

[fin de la lettre manquante]

Saigon, le 27 janvier 1968

 

Chère Maman,

 

Je suis rentrée il y a 2 jours après plus de 2 semaines en opération. Je n’ai malheureusement pas les photos que je voulais. La situation ici est très tense… Une possible invasion est attendue d’un moment à l’autre. Même endroit, colline 881, Khe Sanh. 55.000 Américains et Viets sont face à face. Si les choses se déclenchent. Nous attendons la fin du Têt (nouvel an vietnamien), 6 jours (pour les Viets), avec anxiété. Bien que l’expression a été mille fois employée, Khe Sanh ressemble à Diên Biên Phu et pour la 1ère fois les choses semblent d’une grande gravité. Les Nord-Vietnamiens ont leurs batteries d’artillerie en position et commencent à s’en servir. Giap* serait même à la tête de l’opération. Je repars dans 48 heures. Je n’ai pas fait mon reportage pour Look, la malchance de ce côté ne m’a pas quittée.

Douglas Duncan* (de Life) vient de revenir. Il me remonte le moral.

Je t’écris de la piscine, je nage pour me détendre.

Je vous embrasse tous deux

 

Cathy

P.S. le type de 5 Col* m’a remis vos lettres

 

Saigon, le 6 mars 1968

 

Ma chère Maman,

 

Il y a longtemps que je n’ai pas reçu de vos nouvelles. Je vous écris donc ce petit mot, espérant que tout va pour le mieux à Paris. Je suis restée une semaine à Saigon en assignment* pour Life. Rien à faire, si ce n’est attendre une nouvelle vague communiste. Elle n’est pas venue, j’ai passé mes journées à la piscine. Je suis toute bronzée, et tout à fait reposée.

Je pars samedi à Hong Kong, pour une semaine. Je vais m’acheter des nouveaux jouets (appareils)…et penser à autre chose qu’à la guerre.

 

Ce mois de février aura été pour moi une double réussite. Après la couverture de Life, je vais avoir les honneurs de Look. J’ai passé une semaine avec une compagnie de marines lors de la bataille de la citadelle à Hué. J’ai écrit un journal heure par heure du développement de la situation (pertes énormes, moral épouvantable)…Black Star* m’a envoyé un télégramme pour me dire que les choses étaient “First Class“ et Look m’a câblée que le matériel était formidable… peut-être une couverture là aussi…

Pour terminer ces potins travail sur une bonne note, je viens d’être notifiée que je viens de remporter le premier prix George Polk (après Pulitzer, le plus important), dîner à N York fin mars. AP ne me paye pas le voyage, j’aimerais y aller…peut-être Black Star… je n’ai pas de nouvelles du NPPA* mais la lettre arrivera peut-être plus tard…

 

Voilà… oui Robert Buchard de Zoom* est à Saigon. Il repart à Paris et reviendra au Vietnam dans 15 jours. Nous ferons ensemble Khe Sanh. Il fera en même temps une histoire sur moi.… Je lui donne ton téléphone, c’est un type adorable que j’aime beaucoup, il t’appellera peut-être.

 

J’ai un excellent moral. Je vous embrasse tous deux bien fort.

 

Cathy

[Lettre entête Hôtel Mandarin, Hong Kong]

 

Hong Kong, le 11 mars 1968

 

Chère Maman,

 

Je t’adresse ce petit mot avec des photos prises au centre de presse de Danang, c’est mon amie la chatte, qui embrasse comme un humain. Ce sont des diapositives, fais-les encadrer, tu pourras les projeter.

 

Je me repose, achète des caméras, je viens de m’acheter un sac de crocodile très joli.

 

Je pense partir aux Etats-Unis pour recevoir mon prix, et y rester une semaine.

 

Il fait très frais à H Kong, ce sont mes sports d’hiver en quelque sorte.

 

Je serai le 14 ou le 15 à Saigon.

 

Je vous embrasse,

 

Cathy

Saigon, le 12 novembre 1968

 

Ma chère Maman,

 

Je confie cette lettre à Daniel Camus* de Match qui rentre à Paris tout à l’heure. Je suis la plupart du temps à Saigon, depuis quelques jours. Je prépare activement un script pour la chaîne de télé américaine NBC. L’histoire d’un soldat noir libéré de l’armée à qui je vais montrer le Vietnam. Je compte soumettre mon projet la semaine prochaine et avoir une réponse de NY dans une quinzaine de jours. Voilà…

Je travaille tous les jours très tard, et suis assez fatiguée, et somme toute la vie de Saigon n’est pas très drôle.

Je ne sais pas si les deux reportages que j’ai fait pour Look vont passer, je n’ai pas de nouvelles…

Robert Buchard* t’a-t-il téléphoné ?

 

Je t’embrasse très fort ainsi que Papa

 

Cath

Lettre à entête de l’Hôtel Hilton

 

Hong Kong, le 5 décembre 1968

 

Ma chère Maman,

 

Je suis sur le chemin du retour. Je suis arrivée tout à l’heure à Hong Kong et j’y resterai jusqu’à lundi. Puis une nuit à Tokyo. J’arrive le 10 à N York et y passerai une dizaine de jours. Tu imagines que ce voyage revêt une importance particulière. Je veux vendre aux Américains une idée de documentaire sur le Vietnam et il était indispensable que j’aille aux Etats-Unis avant la fin de l’année. Il est entendu que je serai à Paris pour Noël, puis de retour à N York en janvier. Je suis énormément anxieuse et l’idée d’affronter NY en hiver n’ajoute rien à mon moral. La CBS est au courant de ma venue et j’ai un très important RV le 12. Je vous écris à mon arrivée. Je vais être forcée de descendre à l’hôtel, les gens qui me recevaient ne sont pas à NY en ce moment.

 

Je vous embrasse tous deux affectueusement

 

Catherine

 

Que font les Jeanssens pour Noël ?